En juillet 1980, près de cent
soixante-dix-sept grèves éclatent dans toute la Pologne suite à l'augmentation
massive des prix qu'avait décidée Gierek. Le 13 août, Anna
Walentynowicz, une syndicaliste est licenciée
du chantier naval Lénine de Gdansk. Le lendemain, dès 5 heures du matin,
quelques jeunes gens distribuent des tracts dans les rues de la ville. A
l'intérieur du chantier naval, trois ouvriers d'une vingtaine d'années
sortent des vestiaires avec des banderoles qui appellent à la grève. Ils
se mettent à parcourir les allées du chantier, bientôt suivis par des
centaines d'ouvriers parmi les quelques 16000 que compte à l'époque cette
entreprise phare de la Pologne populaire, qui construit des bateaux
essentiellement destinés à l'URSS. Un peu plus tard, un certain Lech Walesa,
un électricien de trente-six ans, franchit le mur d'enceinte et s'introduit
dans ce chantier dont il avait été licencié quelques années auparavant...
Le pouvoir ne s'y trompa pas. A
peine la grève eut-elle commencé au chantier Lénine ( et à Gdynia, distant
de vingt kilomètres, où un seul ouvrier, tout juste tout juste embauché,
avait lancé le mouvement et pris le contrôle de l'entreprise) que plusieurs
régiments furent mis en état d'alerte et les téléphones coupés entre Gdansk
et le reste du pays. Le Bureau politique, réuni le jour même, demanda au
premier secrétaire,
Edward Gierek, qui venait d'arriver en vacances en Crimée,
de revenir à Varsovie, ce qu'il fit dès le lendemain. Ce qui inquiétait les
dirigeants, évidemment informés par les indicateurs dont ils disposaient
partout, c'est la présence de membres du KOR, qui participaient étroitement à
la conduite de la grève et alertaient les médias étrangers. Surtout, dès le
début, des revendications politiques avaient été avancées. Et puis la grève
s'étendait rapidement sur la côte (plusieurs entreprises de la région de
Gdansk et les chantiers navals de Szczecin, tout à l'ouest du pays). On décida
de négocier rapidement, d'accepter de
fortes augmentations de salaire et la réintégration des ouvriers licenciés,
et même de promettre des syndicats libres au chantier de Gdansk. En même
temps, le responsable de la police, de l'armée, des services spéciaux (et de
l'Eglise) au sein du Bureau politique, Stanislaw Kania, est chargé de gérer la
"liquidation" de la grève, qui semble devoir s'achever. En effet, le
samedi 16 août, Lech Walesa annonce sur les haut-parleurs du chantier Lénine
que la grève a atteint ses objectifs et qu'elle est terminée. Les ouvriers
commencent à quitter en masse le chantier (on leur a promis l'impunité s'ils
cessaient le jour même l'occupation), et puis le lendemain c'est dimanche.
C'est à ce moment-là qu'une conductrice de tramway, qui a elle-même
déclenché une grève dans les transports en commun à Gdansk, se rue sur
Lech Walesa en hurlant: " Vous nous avez vendus. Maintenant, ils
vont écraser les autres entreprises comme des punaises."
Consternation, hésitation. Walesa demande conseil à Bogdan Borusewicz, l'homme
qui en coulisse a préparé la grève, mais lui aussi est désemparé. Tout se
joue à CE moment. Walesa reprend son micro et lance: " Nous
continuerons la grève, par SOLIDARITE! ".